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Grégory, ou le soupçon en héritage

Nicolas Guerté

Un article de

Chabrol n’aurait pas mieux filmé. Une vallée repliée sur elle-même, des cousins brouillés, des tables où l’on s’épie sans parler, des regards jetés comme des pierres. La forêt, la rivière, les bottes dans la glaise. Et soudain, un enfant, quatre ans, mains et pieds liés, dans les eaux noires de la Vologne. C'était un 16 octobre, il y a 41 ans !

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Nicolas Guerté

On l’appelait le petit juge. Il avait trente-deux ans, un visage de séminariste et une voix de province. Jean-Michel Lambert. Jeté dans l’arène médiatique comme un agneau affolé. Il aurait dû enquêter. Il s’est égaré. Il aurait dû se taire. Il s’est confié aux journalistes, aux policiers, à tout le monde, sauf au bon sens.


Un matin, il s’est convaincu que c’était la mère. Le lendemain, il n’en était plus sûr. Il écrivait des ordonnances comme on lance des communiqués de presse. Jusqu’à ce jour de juillet 1985 où il fit arrêter Christine Villemin devant les caméras, dans une scène si théâtrale qu’elle en devint grotesque. Une femme digne, enceinte, menottée devant une France qui ne voulait pas comprendre, mais juger.


Chabrol aurait filmé la scène en plan fixe, sans musique, en laissant le silence hurler. Ce silence, justement, que la Vologne ne connaît pas. Ni celle des bois, ni celle des hommes.


La presse, elle, n’a pas cherché la vérité. Elle a flairé le sang. Les titres se succèdent, en italiques, comme des verdicts sans appel : « Christine, la mère du soupçon », « Une famille maudite », « Le retour du corbeau », « Grégory : la haine au cœur des Vosges ».


Les unes de Paris Match, les éditions spéciales, les interviews des voisins : tout s’empile comme une coulée de boue médiatique. On filme les larmes. On piste les silences. On analyse les postures. On devient médecin légiste de la peine des autres. Une France entière, accrochée à son téléviseur, devine, juge, soupire. Une France qui hait les familles soudées, les femmes sûres d’elles, les villages trop secrets. Il faut que quelqu’un paie. Peu importe qui.


Et derrière tout cela, il y a la jalousie. Froide. Ancrée. Viscérale. Les Villemin étaient jeunes, beaux, ils réussissaient. Le père, Jean-Marie, chef d’atelier à vingt-cinq ans, faisait de l’ombre aux oncles, aux cousins. « Il se la pète, celui-là, avec sa R5 et son salaire », glisse-t-on au bistrot, avant de changer de sujet quand quelqu’un entre.


On n’a pas besoin de mots pour comprendre dans les villages. Un haussement d’épaule suffit. Une absence à la communion du petit dernier aussi. Et puis il y a cette femme, Christine. Pas assez brisée. Pas assez coupable. Elle tient bon, elle parle bien. Ça dérange. Alors on invente, on ressasse, on suspecte. « Une mère qui tue son fils, ça existe, non ? »


Le mal, ici, n’a rien d’exotique. Il est boueux, terne, tapi sous les nappes en toile cirée. C’est un anniversaire raté, une moquerie vieille de dix ans, une lettre anonyme. « J’espère que tu mourras de chagrin. » Le corbeau écrit bien. Trop bien, pensent certains. Avec des mots d’école. D’autres pensent qu’il y en avait plusieurs. Toute une volière. Peut-être que chacun a pris la plume, un jour, juste pour exister. La haine comme lien social. L’envie comme ciment.


La justice, elle, piétine. L’affaire dure, revient, s’effiloche, ressurgit. Bernard Laroche, un temps accusé, un temps relâché, est abattu par le père, Jean-Marie, d’une balle en pleine poitrine. Une vengeance ? Une folie ? Un cri. Il ne dira jamais rien d’autre. Et puis Murielle Bolle, l’adolescente rousse, qui accuse, se rétracte, puis accuse à nouveau. Les avocats se succèdent, les experts graphologues aussi. On se passionne pour les lettres anonymes, comme si elles contenaient la clé. Mais non. Rien ne tient. Tout se sait, mais rien ne se prouve. Alors on referme les cartons. On les rouvre vingt ans plus tard, avec l’ADN. On les referme encore.


Et dans les couloirs, certains baissent la voix. Des enquêteurs à la retraite, des magistrats prudents, des journalistes vétérans. Tous laissent entendre que la vérité, la vraie, serait connue ou du moins soupçonnée avec assez de certitude pour briser des vies.


Mais impossible à dire. Pas sans fracasser l’édifice. Car l’affaire, avec ses erreurs initiales, ses revirements, ses manipulations, ses egos froissés et ses silences complices, est devenue trop lourde pour être résolue.

« Révéler la vérité aujourd’hui, ce serait admettre qu’on l’a empêchée hier. »

Ce serait ouvrir une plaie d’État. Une plaie médiatique. Une plaie judiciaire.

Et aucune institution ne veut ça.


Le petit juge, lui, s’est pendu en 2017. Il a laissé une lettre. « L’affaire Grégory est ma seule blessure, mais elle est béante. » Un dernier point final d’un homme qui s’était cru écrivain de justice.


Et nous ? Quarante et un ans plus tard, nous continuons de parler. Pas de Grégory, mais de l’affaire. Grégory est mort, oublié, figé à quatre ans. L’affaire, elle, vit. Comme une légende toxique. Comme un mythe sans fin.


Et voici qu’un autre enfant, l’an dernier, disparaît dans les Alpes. Émile. Deux ans. Aucun lien. Aucun crime prouvé. Mais la même odeur. Celle des suspicions. Des “trop calmes”, des “trop propres”, des silences qui en disent trop. Rien n’a changé. Ni la meute, ni le vide.


La France aime les affaires irrésolues. Elle peut y projeter ses peurs, ses bassesses, son impuissance. Elle déteste la vérité. Surtout quand elle est triviale. Et qu’elle ressemble à un dimanche après-midi chez les cousins, où l’on a trop mangé, trop bu, et où la haine se sert un dernier café...



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“Ils étaient normaux.” Une IA interroge les monstres ordinaires
“Ils étaient normaux.” Une IA interroge les monstres ordinaires

Ils étaient normaux. Tous, absolument tous. C’est ce que l’on dit toujours, après. Gentils, polis, effacés. Ils payaient leurs impôts, leur gaz, leurs croissants du dimanche. Ils n’étaient pas suspects, ils étaient discrets. Et dans les villages, la discrétion est une vertu. Pas une alerte.

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